TSMC : une expansion USA-Europe plus compliquée que prévue
Par Antonin Niel
TSMC vs TSMC
Face aux tensions géopolitiques et aux demandes de relocalisation, TSMC développe ses capacités de production aux États-Unis et en Europe. Mais les résultats financiers et les déclarations récentes du groupe montrent que cette expansion hors de Taiwan s'avère plus complexe et coûteuse qu'anticipé, entre retards de construction et défis technologiques.
L'usine américaine démarre, mais avec des limites
L'usine de Phoenix en Arizona, dont la construction a pris "deux fois plus de temps" qu'à Taiwan selon le PDG C.C. Wei, a finalement démarré sa production en volume au quatrième trimestre 2024. Cette première fab utilise le procédé N4 (4 nm) avec des rendements comparables aux sites taïwanais.
Mais les ambitions initiales semblent revues à la baisse. Le PDG a clairement indiqué qu'il était "peu probable" que les sites américains obtiennent les technologies les plus récentes avant Taiwan, citant des "problèmes de conformité complexes" et de multiples "exigences d'autorisation".
Les défis ne sont pas uniquement réglementaires. TSMC révèle que ses fabs overseas entraîneront une dilution des marges de 2 à 3% par an sur les cinq prochaines années, principalement due à une chaîne d'approvisionnement plus coûteuse et un écosystème industriel moins développé.
Une approche prudente en Europe
En Europe, TSMC avance avec plus de précaution. Son usine de Dresde, fruit d'un partenariat avec NXP, Infineon et Bosch, ne visera pas les procédés les plus avancés. Elle se concentrera sur les puces automobiles avec une technologie mature, limitant ainsi les risques technologiques et financiers.
Le site allemand, qui représente un investissement de 10 milliards d'euros dont la moitié financée par des subventions publiques, devrait entrer en production fin 2027. Il s'inscrit dans la "Silicon Saxony", profitant d'un écosystème de sous-traitants déjà établi.
D'autres projets européens sont à l'étude, notamment pour l'IA générative qui nécessite des processus plus avancés. Mais les déclarations sur les difficultés américaines laissent présager une approche très progressive.
Un modèle économique sous tension
Cette expansion internationale pèse sur les finances du groupe. Sur les 38-42 milliards de dollars d'investissements prévus en 2025, une part significative sera consacrée aux sites overseas, malgré leur rentabilité moindre.
TSMC justifie ces investissements par la demande de ses clients pour une diversification géographique. Aux États-Unis, l'entreprise pratique même des tarifs plus élevés, arguant d'une "prime Made in USA" acceptée par ses clients.
Mais le groupe maintient une ligne claire : les technologies les plus avancées resteront d'abord à Taiwan, où se concentrent ses capacités de R&D. Une position qui questionne l'objectif de véritable autonomie technologique recherché par les États-Unis et l'Europe.
Une expansion nécessaire mais maîtrisée
Malgré ces défis, TSMC poursuit son internationalisation, portée par des résultats solides (90 milliards de dollars de revenus en 2024) et des perspectives de croissance robustes (+25% attendus en 2025).
Le fondeur adapte sa stratégie aux réalités du terrain : production mature pour l'automobile en Europe, montée en puissance progressive aux États-Unis, maintien de l'avance technologique à Taiwan. Un équilibre complexe entre les attentes de relocalisation et les contraintes industrielles.
À terme, le succès de cette expansion déterminera la capacité des États-Unis et de l'Europe à réduire leur dépendance aux importations de semi-conducteurs. Mais le chemin s'annonce plus long et plus coûteux que prévu.